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Enregistrer clandestinement son employeur pour prouver un accident du travail : illégal mais autorisé (sous conditions) ! 

  • katiapiantino
  • 29 août 2024
  • 3 min de lecture

Cass. 2ème civ, 6 juin 2024, n° 22-11.736, FS-B+R



Enregistrer un audio ou une vidéo d’une conversation privée/dans un lieu privé à l’insu d’une personne est illégal : c’est un délit pénal car l’enregistrement porte atteinte à la vie privée (article 226-1 du Code pénal). 

 

Malgré cela, la Cour de cassation a récemment admis dans l'arrêt commenté, une preuve déloyale ou illicite, en l’espèce un enregistrement audio d’une altercation physique et verbale, réalisé par un salarié à l’insu du gérant, pour prouver la survenance d’un accident du travail, qui était contesté par l’employeur.  

 

Auparavant, un mode de preuve déloyal était systématiquement écarté des débats au civil, car portant atteinte aux droits des personnes, notamment au droit au respect à la vie privée pour un enregistrement clandestin. Mais, depuis un revirement uniformisé à toutes les chambres civiles de la Cour de cassation (arrêt d’Assemblée Plénière, 22 décembre 2023 nº 20-20.648), la preuve illicite ou déloyale est admise à deux conditions : si cette production est indispensable à l’exercice du droit à la preuve, et si l'atteinte portée aux droits des personnes est strictement justifiée et proportionnée au but poursuivi, sur le fondement du droit au procès équitable.  

 

La Cour de cassation applique cette jurisprudence au cas de l’accident du travail : le salarié est victime d’ un accident du travail, en l’espèce une altercation verbale et physique, l’employeur niant la survenance de l’altercation. 

 

Le salarié a donc produit la retranscription par huissier d’un extrait de l’enregistrement audio clandestin réalisé au cours de l’altercation, à l’insu du gérant.  

 

La Cour de cassation, pour admettre ce mode de preuve, détaille son raisonnement :  

  • Elle vérifie s’il existait un autre moyen de prouver l’accident du travail : même en présence de témoins, 4 en l’occurrence, la Cour de cassation nous indique que le salarié ne pouvait se reposer sur leurs témoignages, au regard du lien de subordination et du lien économique qu’entretenaient les témoins avec le gérant. Traduction : nous savons comment il peut être difficile de recueillir des attestations de témoins lorsqu’ils sont clients ou salariés de l’entreprise. La Cour de cassation en a visiblement parfaitement conscience, et admet donc que le salarié n’avait pas d’autre moyen de preuve que l’enregistrement audio, malgré l’existence de 4 témoins ; 

  • Elle vérifie si l’atteinte au droit à la vie privée du gérant est justifiée et proportionnée : la Cour relève que l’altercation a eu lieu dans la société mais dans un lieu ouvert au public, et devant témoins, limitant l’atteinte à la vie privée. Elle note également que l’enregistrement audio produit est limité à l’altercation : l’audio ne comprends pas la retranscription de l’intégralité de la conversation, mais se limite au moment de l’altercation physique et verbale. 

 

Elle en conclut que « la production de cette preuve était indispensable à l'exercice par la victime de son droit à voir reconnaître tant le caractère professionnel de l'accident résultant de cette altercation que la faute inexcusable de son employeur à l'origine de celle-ci, et que l'atteinte portée à la vie privée du dirigeant de la société employeur était strictement proportionnée au but poursuivi d'établir la réalité des violences subies par elle et contestées par l'employeur ». 

 

Ce mouvement jurisprudentiel désormais bien ancré est à la fois favorable aux salariés mais également aux employeurs, qui peuvent, eux aussi, enregistrer des audios et vidéos à l’insu des salariés, et les produire en justice. Nous en avons déjà eu quelques retours d’expérience avec par exemple l’admission aux prud’hommes des vidéosurveillances illicites (Cass. soc., 8 mars 2023, n°21-17.802), du système de badgeage détourné de sa finalité (Cass. soc., 8 mars 2023, n°21-20.798), des captures d’écran d’un compte Facebook privé d’un salarié (arrêt Petit Bateau, Cass. soc., 30 sept. 2020, n°19-12.058) : bien que déloyales car issues d’un dispositif illégal, ces preuves ont été admises après contrôle de proportionnalité, pour justifier les licenciements. 

 
 
 

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